Avec “La France sous nos yeux”, Jérôme FOURQUET et Jean-Laurent CASSELY nous éclairent, nous donnent des chiffres sur les différents modes de vies des français que l’on perçoit sans vraiment les connaître en détails. Ils réussissent à traduire les évolutions de nos paysages et mutations sociales comme autant de transformations industrielles. Se plonger dans ces réalités au plus vite est essentiel pour les concepteurs des véhicules intermédiaires pour comprendre les marchés et commencer à nouer des discussions avec les futurs clients.
Pierre CAYE dans son livre « DURER » remet à sa place et en perspective la notion de « durable ». Il critique, avec raison, le fameux « développement durable » par la soumission juridique et comptable de l’environnement au « développement ». Il construit le durable à partir du temps, de la construction de la durée et non à partir de la transformation de la matière et de l’évolution socio-économique. Sa proposition est double : se détacher de l’instantanéité des marchés et réduire les impacts à long terme des technologies en se centrant sur la «maintenance» et le système productif associé.
Ces deux livres dessinent une opportunité d’un nouveau système productif distibué au plus près des utilisateurs pour être capable de maintenir dans la durée de nouveaux modes de transport répondant aux besoins des Français dans les territoires ruraux.
Backstage
La France sous nos yeux nous décrit les territoires péri-urbaines et ruraux de plusieurs manières (vidéo). Cela nous est très utile pour avoir une bonne compréhension des mobilités rurales, celle qui se déroulent dans, vers ou à partir de la France qu’ils appellent « Backstage ». Cette France qui fournit les fonctions supports tout en restant invisible. Le livre rappelle les fermetures de sites industriels, la fin du secteur primaire, des exploitations agricoles et la montée en puissance des centres logistiques et du tourisme sous toutes ses formes.
Avec un combo « maison avec jardin » idéal pour 2/3 des français, l’expansion vers les lotissements toujours plus éloigné d’un “centre” à de beaux jours devant lui.
Même si des différences existent, ce modèle a notamment comme point commun : tout déplacement doit se faire en voiture, rien n’est réalisable à pied. Ceci conduit, alimente et légitime une autre expansion commerciale en miroir dans les périphéries et au-delà de tous les types de commerces et services, de la boulangerie, aux restaurants et aux cinémas.
Les auteurs proposent également une hypothèse de bipolarisation de la société en haut et bas. La classe moyenne est ainsi obligée d’alterner entre des offres premium et à l’inverse une économie de la « débrouille », tout ceci à la fois sur les plans économiques, culturels et territoriaux. Nous retrouvons cet effet sablier sur le marché de l’automobile, clairement scindé entre des SUV haut de gamme, la disparition de petits modèles neufs à l’achat (à l’exception de DACIA) et un marché de l’occasion en pleine forme. Une analyse qui permet de commencer à identifier les “non consommateurs”, ceux qui ne se satisfont pas des offres neuves et d’occasion, mais qui n’ont pas d’alternatives.
Où débarquer ?
En même temps, “La France sous nos yeux” est aussi celle des urbains qui choisissent l’exode rurale en se regroupent par affinités comme dans la Drôme, « aimant à néo-ruraux ». Ces territoires pourraient être particulièrement intéressants pour expérimenter des solutions de mobilité à la fois nouvelles et alignées avec des objectifs écologiques.
Et si la Drôme était une des « plages de débarquement » pour l’eXtrême Défi à la fois pour expérimenter et pour produire ces véhicules ?
Dans ces territoires ruraux où les usines ont disparu et ont été remplacées par des hangars logistiques, Pierre CAYE (vidéo) nous invite à considérer autrement le sens de “durable”. Dans une industrie où la machine semble remplacer l’homme, il apparaît finalement que le travail humain s’impose pour venir résoudre les erreurs de conception des machines, les usures, la gestion des incidents, regroupées dans la maintenance. En ce sens, la fameuse destruction créatrice de Schumpeter s’appuie sur une maintenance bien « traditionnelle » des infrastructures (énergétique, transport, communication) pour garantir leur tenue dans le temps, pour contenir l’entropie du monde. Ainsi pour la plupart de nos produits « innovants », la capacité à maintenir, restaurer et prendre soin s’estompent pour disparaitre. Ceci est d’autant plus vrai que le produit intègre des logiciels qu’il faut constamment maintenir, mettre à jour.
La maintenance
La maintenance devient alors l’affaire de tous, la part sociale la plus collective du système productif, et dans certains cas, sa principale faiblesse. A cela s’ajoute la fermeture des objets physiques et des logiciels augmentant leur fragilité, leur besoin de renouvèlement, donc les flux physiques.
Or, prendre soin des infrastructures, maintenir au quotidien, reste des actions peu valorisées, voire invisibilisées, et généralement mal comptabilisées comme s’il ne fallait pas montrer cette fragilité, cette lutte contre l’entropie pour se concentrer sur le produit et la marque. Comme si la maintenance était la part d’erreur et d’incomplétude de l’innovation.
Et bien faisons de la maintenance, du reconditionnement pas uniquement une industrie de l’entretien, mais une nouvelle entrée dans la constitution d’un patrimoine industriel moderne à haute valeur individuelle et collective, à travers des pratiques techniques, des transmissions et des successions de savoir faire. Intégrons le plus en amont possible dans le design les faiblesses, les pannes et réparations pour mieux assimiler les boucles de rétro-actions venant des usages. La maintenance fait ainsi le lien entre le passé et l’avenir, entre l’héritage technique, l’innovation et notre système productif. La maintenance fait également le lien entre le patrimoine, la dette et l’intérêt ; c’est elle qui à la fois assure la remise du prêt dans les mains de l’emprunteur et son remboursement avec intérêt du créancier.
Pour réussir cette transition, les actions de maintenance devront être mieux comptabilisées, indexées, répertoriées pour être visibles et valorisées.
Pierre CAYE développe au début de son livre un chapitre sur l’importance du patrimoine pour mieux servir la durée. Pour des objets et leurs logiciels qui seraient conçus pour durer, pour évoluer avec les besoins des utilisateurs, pour se maintenir facilement, la valeur prendrait des formes différentes que les objets jetables que nous connaissons. Pour les mieux conçus, les plus durables, la valeur économique ne baisserait pas, l’objet devenant ainsi progressivement un patrimoine que l’on peut transmettre.
Le vélo, objet technique parfait, semble être né de la maintenance, de l’intégration progressive des améliorations réalisées pour résoudre des pannes, pour simplifier la réparation tout en s’appuyant sur des artisans pour les produire puis des industries.
Les véhicules intermédiaires pourraient être la première industrie à se penser par la maintenance, à l’intégrer au cœur du design pour durer, pour devenir un patrimoine individuel, familial ou collectif. Ces véhicules pourraient être assemblés, maintenus, reconditionnés au plus près des utilisateurs, dans de nouvelles usines distribuées, à la fois pour fournir des solutions de mobilités modernes et replacer le système productif dans les territoires ruraux.