« Que reste-t-il à découvrir sur cette planète exploitée, cartographiée jusqu'au dernier centimètre carré ? Géographiquement, à peu près rien. Poétiquement, à peu près tout. »
C’est ainsi que Maxime Aumon introduit son livre, Gravir la toundra, parut récemment aux éditions Elytis. Dans ce récit et par ses périples menés à travers l’Europe de l’Est, cet aventurier se plonge dans un champ particulier de la mobilité : les véhicules d’exploration.
©Maxime Aumon
Qu’ils soient scientifiques, polaires ou sous-marins, ces véhicules répondent la plupart du temps à des besoins de robustesse et d’efficacité technique à toutes épreuves. Mais pour concevoir les siens, Maxime Aumon préfère leur choisir d’autres priorités telles que « l’invincible légèreté », la modularité, et surtout le pouvoir narratif. Cet inventeur a construit lui-même, pour ses différentes expéditions, ses dispositifs mobiles. Architecte de formation, il s’est promis de ne jamais oublier les rêves de l’enfant qu’il était : construire des cabanes, raconter des histoires, ajouter des roues à son lit pour voyager et « considérer le monde comme une grande chambre et sa chambre comme un monde infini ». Il aborde ses voyages comme si chacun était un projet de roman dans lequel ses véhicules ne sont pas un chapitre mais la plume avec laquelle il les écrit.
Pour sa première aventure, il traverse le royaume du Luxembourg en se fixant une promesse : celle de ne jamais poser le pied dans ce paradis fiscal. Il part avec les échasses landaises qu’il s’est fabriquées lui-même, et n’en descend jamais pendant les deux semaines de son périple. Avec ce moyen de transport, il appréhende le territoire différemment : « un feu rouge devient un accoudoir, le toit d’un camion ou le promontoire d'un balcon deviennent un lit ».
Lenteur, interaction et pouvoir narratif
Les véhicules de Maxime ne vont pas vite, c’est un choix. La lenteur lui permet d’explorer le territoire autrement. En décidant « d’abandonner l’ensorcellement de la vitesse », il crée d’autres alchimies, favorise la rencontre, l’étonnement et les questionnements. Attiré par l’Est et surtout la Sibérie qu’il considère comme le dernier territoire sur lequel peut se calquer l’imaginaire d’un Far West passé, ses véhicules suscitent parfois des incompréhensions dans ces espaces. Pour certains la lenteur est un fantasme, un moyen de se déconnecter d’un monde trop rapide. D’autres la subissent, et préféreraient s’en émanciper.
©Maxime Aumon
L’interaction avec les autres n’est pas seulement due à son lent cheminement mais essentiellement au grand pouvoir narratif de ses dispositifs mobiles. À l’instar de son Bison quadricycle à pédales. En Biélorussie, une légende sur les bisons sauvages raconte qu’ils auraient le don d’écarter les tyrans du pouvoir. L’histoire lui parle, mais faute d’avoir le droit d’entrer dans le pays, il en longe la frontière du côté ukrainien. Il suscite la curiosité de certains, amusés, alors que d’autres, plus superstitieux, craignent qu’il s’agisse d’un mauvais présage. À la fin de son périple, il enterre son bison de fer dans une forêt à la frontière. Neuf ans plus tard, la révolution du Maïdan éclate en Ukraine. Maxime y voit un signe pour faire revivre le bison. Mais il veut que la narration ait une puissance symbolique forte. Usant d’une stratégie risquée pour lui, il se fait arrêter par l’armée pour que celle-ci l’aide à déterrer le bison protecteur.
©Maxime Aumon
Dans ses véhicules souvent fabriqués sur place avec ce qu’il trouve, « les insuffisances techniques sont compensées par le pouvoir poétique. La roue voilée devient même un prétexte à la rencontre et à la discussion ». Son dernier véhicule, pour explorer la Sibérie, est plus réfléchi techniquement. Il est modulable et peut prendre la forme de trois engins différents : un chariot à quatre roues arpentant les routes et les pistes deviendra un radeau pour descendre les rivières ou un traîneau pour glisser sur la neige. Pour ce projet, il a récupéré, dans une usine de cycle français, une fin de série de soixante cadres de vélos identiques.
©Maxime Aumon
En modifiant ces cadres, il a obtenu des triangles solides permettant d’être reliés par des tubes d’aluminium suivant deux axes perpendiculaires formés par l’axe du pédalier et l’axe de direction. Cette solution technique offre beaucoup de possibilités d’assemblage. Stéphane Juguet, anthropologue et prospectiviste de la mobilité, avec lequel Maxime a souvent collaboré, décrit même ce dispositif comme une “grammaire constructive” permettant de nombreuses combinaisons.
©Maxime Aumon
Ces engins avaient pour première vocation de l’assister dans une nouvelle traversée de la Sibérie. L’histoire de cette expédition n’a malheureusement pas encore été écrite. Elle était prévue pour début 2020. Elle a été repoussée par la pandémie. Puis rendue impossible par la guerre en Ukraine. En attendant, l’explorateur a recombiné son véhicule pour un usage sédentaire en le transformant en mobilier dans lequel il rêve à ses prochaines expéditions.
Ses prochains rêves ?
On fêtera bientôt le centième anniversaire de la première croisière Citroën. « Avec ce qu’on a appris ces cent dernières années, que donnerait cette croisière, si on la remettait au goût du jour ? », se questionne Maxime. Que serait une épopée des temps modernes avec les challenges écologiques, techniques et sociaux d’aujourd’hui ? Une caravane de véhicules légers ? Autonomes ? Explorant des territoires sans rapport de domination ? Et si cette caravane était composée des véhicules intermédiaires de l’XD ?
« On pourrait également penser une complémentarité entre véhicules thermiques et véhicules intermédiaires lors d’expéditions ou pour d’autres usages. Et si les grosses voitures en villes étaient autorisées à circuler en contrepartie de pouvoir y plugger de petits véhicules intermédiaires qu’elles pourraient tracter ? »
L’architecte-aventurier identifie un angle mort en matière de propositions poétiques entre la voiture et le vélo. Une nouvelle terra incognita à explorer, plus proche, plus accessible avec plus d’impact sur des usages quotidiens. Une zone dans laquelle il y aura des pionniers comme à l’époque de l’aviation.
« Le monde terrestre géographique a été maintes fois exploré mais il y a encore beaucoup à découvrir du côté poétique. Les véhicules intermédiaires sont un bon moyen pour explorer cette poésie ».
Mathieu Grosche